MARGUERITE DE NAVARRE

MARGUERITE DE NAVARRE
MARGUERITE DE NAVARRE

Elle a porté quatre noms. Mais qu’on la nomme Marguerite de Valois, d’Angoulême, d’Alençon ou de Navarre, elle reste la reine de Navarre. Et qu’on ne la confonde pas avec une autre Marguerite, la femme d’Henri IV, la reine Margot de gaillarde mémoire! Sa vie, toute de devoir, de dignité, de dévouement, d’élans mystiques et de curiosité psychologique, ne fut en rien celle d’une dame galante.

Poète maladroit mais sincère, conteur habile, femme de tête, elle mérite amplement l’éloge qu’a fait d’elle son protégé Marot:

Corps féminin, cœur d’homme et tête d’ange

Sa présence illumine la première moitié du XVIe siècle.

Une vie: joies, soucis, deuils

Elle naquit au pays d’Angoulême. Elle mourut à Odos, près de Tarbes. Elle appartenait à une branche cadette de la famille royale, mais très vite elle sut que son frère cadet, le futur François Ier, pouvait parvenir au trône. Toute la jeunesse de Marguerite fut hantée par ce rêve. Elle aida sa mère, l’ambitieuse Louise de Savoie, à préparer les voies... On lui donna une éducation solide: elle apprit l’italien, le latin, un peu de grec. L’humanisme déjà s’affirmait. En 1509, elle épousa le duc d’Alençon, qu’elle n’aima pas. Il fut des fuyards de Pavie. Elle le vit mourir sans regrets en 1525.

Dès l’avènement de son frère, «son César», en 1515, elle tint, à la cour, la première place. Plus que la reine Claude et que la reine Éléonore, elle fut jusqu’en 1540 la véritable reine de France: elle anima la vie mondaine et la vie intellectuelle à Paris, à Fontainebleau, dans le Val de Loire. Elle prit sa part de la vie politique en attendant qu’une demi-disgrâce l’amenât à se retirer en Béarn, à Nérac. La vie de cour? Des fêtes, des deuils (qui lui dictèrent ses premiers vers) et, plus encore, des soucis: elle se rendit à Madrid auprès du roi prisonnier après Pavie et gravement malade; elle tenta en vain d’obtenir de Charles Quint une paix honnête. Cette mission où elle déploya des trésors de diplomatie lui donna une figure d’héroïne. À son retour en France, veuve, elle épousa Henri d’Albret, roi de Navarre.

Elle fut mêlée à la vie religieuse de son temps. De 1521 à 1525, sous l’influence de Briçonnet et de Lefèvre d’Étaples, elle s’initia au mysticisme et favorisa des formes de pensée qui la rendirent suspecte: elle rêvait d’une réforme de l’Église dans et par l’Église. La Sorbonne, en 1533, l’attaqua violemment et condamna un de ses poèmes. Le roi la défendit: elle demeura, dès lors, inquiète et fut parfois même inquiétée.

Jusqu’à la mort de Louise de Savoie, en 1531, elle n’avait vécu que pour son frère. Son second mariage, la naissance de sa fille, Jeanne d’Albret, les événements l’éloignent du roi. Elle veut défendre les intérêts de la Navarre et de sa fille. Ses dernières années furent assombries par ce désaccord, par les tristesses et les déceptions de la politique, par la mort du roi. Retirée au pays béarnais, elle pleura la mort de son frère et se réfugia dans le mysticisme et la poésie.

Princesse, elle a joué un rôle politique. Mais elle a aussi protégé les écrivains, Rabelais et Marot surtout, les poètes néo-latins, un esprit audacieux comme Bonaventure Des Périers, et tous ceux qui tentaient de rénover la vie religieuse: Lefèvre d’Étaples, Briçonnet, Gérard Roussel, Caroli, plus tard les libertins spirituels.

L’éveil du lyrisme

Elle a beaucoup écrit; trop peut-être: il y a dans ses œuvres des longueurs, du bavardage. Et pourtant, elle a ouvert des chemins nouveaux, dans ses poésies, nombreuses et diffuses, dans un recueil de contes surtout, inachevé, mais très neuf. Ses premiers vers datent de sa jeunesse: un Dialogue en forme de vision nocturne , écrit en terzarimes, qui traite de problèmes théologiques élevés (la prédestination, le libre arbitre, les œuvres). Elle a livré là ses réflexions secrètes au moment où se manifestait l’esprit de la Réforme.

En 1531, elle publie le Miroir de l’âme pécheresse , longue méditation assez confuse où elle analyse son humilité, son néant devant le tout de Dieu (antithèse qu’elle développera sans cesse). En 1547, elle publie l’ensemble de ses poésies: les Marguerites de la Marguerite des princesses . Leur mérite essentiel est la spontanéité, une spontanéité un peu verbeuse, et la sincérité. On y trouve des poésies de circonstance, des épîtres adressées au roi ou à Louise de Savoie, des essais de psychologie amoureuse (La Coche, les Épîtres des quatre dames et des quatre gentilshommes , où elle analyse le parfait amour), des comédies, de valeur inégale, parmi lesquelles on remarque quatre pièces bibliques consacrées à la naissance et à l’enfance de Jésus: elles ont, la première surtout, de la fraîcheur. Leurs intentions morales sont évidentes.

Il faut classer à part un ensemble de poèmes (Miroir de l’âme pécheresse, Oraison de l’âme fidèle, Discord de l’âme et de la chair, Triomphe de l’Agneau ) où la princesse se laisse aller à des effusions mystiques, affirme sa faiblesse, chante son amour pour Dieu. On retiendra surtout les Chansons spirituelles qui sont, avant les Odes de Ronsard, la première manifestation du lyrisme français moderne. Il y a, dans ces pages rapides, des élans, des aveux, des harmonies qui sont vraiment d’un poète.

Aux Marguerites , il faut joindre les Dernières Poésies , inédites jusqu’en 1896. Elles comprennent d’amples poèmes, «Le Navire», «Les Prisons», deux comédies, autant de confessions où la reine a dit sa douleur à la mort de François Ier et tracé une synthèse de sa vie intérieure. Autant de poèmes peu connus et qui ne méritent pas l’oubli.

Conteuse et moraliste

L’œuvre maîtresse demeure toutefois ce recueil de contes inachevé: l’Heptaméron , publié après sa mort. Elle a voulu écrire un Décaméron français. Le temps lui a manqué pour le terminer. Boccace n’est pour elle qu’un modèle. Elle lui a pris un cadre sans le démarquer, pas plus qu’elle n’a plagié ses devanciers. L’œuvre est originale: elle vient le plus souvent des souvenirs, des expériences, ou de l’imagination de la princesse. On n’a pas assez souligné le réalisme du décor, des acteurs, des mœurs de la France du XVIe siècle, sans parler du réalisme psychologique. Pour la première fois la nouvelle cesse d’être uniquement comique: le tragique y a sa place, et dès le début du recueil. Ces récits paraissent incolores, parfois assez secs. On n’oubliera pas que pour Marguerite l’intérêt moral et psychologique prime le narratif. Elle conte avec le souci du vrai et du bien plus qu’avec celui du beau. La technique est inférieure à la pensée: on voudrait à ces récits plus de couleur et de mouvement; ils manquent d’art, certes: la princesse, ici encore, se préoccupe d’instruire plus que de plaire. Ils n’en présentent pas moins déjà certains caractères du classicisme.

On y voit trop souvent des contes libertins. Erreur grossière due au fait qu’on néglige les conversations qui les encadrent et mettent en scène la reine, sa mère, son second mari, ses familiers – dialogues où l’on discute la signification de l’histoire que l’on vient d’entendre et d’où se dégage une morale chrétienne et mondaine, entretiens qui préfigurent la vie de salon telle qu’on la connaîtra bientôt et qui livrent la pensée de leur auteur, toute de sagesse et de droiture. Marguerite s’y révèle une moraliste de qualité, et l’on peut voir en elle la première des romancières modernes.

On a beaucoup discuté de sa pensée religieuse. Catholique encore? ou, déjà, protestante? On la dirait aujourd’hui progressiste. Elle n’a suivi ni Luther ni Calvin. Elle a toujours pratiqué. Elle a condamné l’inconduite du clergé. Elle a discuté certains points de la doctrine: l’importance et la valeur des œuvres surtout. Mais elle n’a cessé d’affirmer le néant de l’homme, la grandeur de Dieu et l’immensité de l’amour qu’il porte à la créature. Elle a espéré une réforme pacifique, et s’est tenue hors des querelles sanglantes. Dans une cour dissolue, elle a donné l’exemple d’une intransigeante mais souriante vertu.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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